Pourquoi la grève ?

Définir la grève

La grève, c’est d’abord un refus. Un refus de continuer à subir une oppression. Et c’est également une action, une action collective, pour changer les mécanismes sous-tendant cette oppression. Le Code du travail du Québec, lui, la définit laconiquement comme « la cessation concertée du travail par un groupe de salariés ». Mais la loi ne peut pas pleinement comprendre et expliquer la grève puisque dans son fondement la grève cherche à transformer ou renverser une situation que la loi elle-même permet! Le droit de grève? C’est pratique, mais faut pas s’y limiter. Faire grève c’est aller à l’encontre du quotidien et de ses lois. La composante collective est également importante, une action individuelle ne sera jamais suffisante. Et puis il y a cette idée que la grève n’est pas nécessairement uniquement le fait de salariéEs. Elle peut être beaucoup plus large, même jusqu’à être sociale! La société au sens large peut décider de prendre son avenir en main de faire grève et de lutter pour RÉDUIRE ou FAIRE CESSER définitivement l’exploitation ou l’oppression. Donc, c’est quoi une grève? Pour être concis nous nous proposons de la définir ainsi :

Actions collectives d'un groupe d'oppriméEs cessant temporairement (et potentiellement définitivement) de perpétuer leur propre oppression.

Ça marche-tu?

Bien sûr que oui. À travers le temps la grève s’est révélée être un des moyens d’action parmi les plus efficaces et certainement un des plus utilisés. Il y a chaque année des centaines de grèves dans le monde regroupant des millions de personnes. La grève a permis aux travailleurs et travailleuses d’augmenter leur salaire, leurs conditions d’emploi et plus généralement leur qualité de vie. Mais il y a plus que ça. Divers mouvements de grève ont également permis des avancées sociales considérables. Et même lorsque les revendications des grévistes n’ont pas été pleinement satisfaites, elles ont parfois contribué dans la foulée à d’importants gains sociaux.

Au Québec, les différentes grèves ont engendré entre autres choses : la laïcisation et la gratuité d’une grande partie du système d’éducation, la création du réseau des Universités du Québec, la nationalisation des hôpitaux, la création de l’assurance-maladie, l’établissement du français comme langue de travail, diverses lois du travail, la création de la CSST et bien d’autres choses encore. Évidemment, il reste bien des revendications à assouvir, mais souvenons-nous comme le disait le philosophe Raoul Vaneigem que : « Les services publics et les acquis sociaux, arrachés de haute lutte par des générations d’ouvriers et d’employés, ne résultent pas d’une grâce providentielle. Ils ne sont pas la propriété de l’État. Ils appartiennent à l’ensemble des citoyens ». C’est par la lutte qu’il faut protéger les acquis sociaux et c’est par la lutte qu’il faut conquérir encore plus d’espaces pour notre émancipation collective.

Faire la grève du travail (et mettre fin à notre exploitation économique)

Le plus souvent quand on parle de grève on fait référence à une grève de type économique. C’est-à-dire une cessation du travail salarié ou productif dans l’objectif de faire pression sur ceux qui profitent des retombées de ce travail : le patron, l’état, les investisseurs, etc. C’est ce qui a historiquement permis aux syndicats et aux travailleur-euses d’obtenir la semaine de 40 heures, une sécurité au travail, de meilleurs salaires et toute sorte d’autres gains. Mais comment en est-on arrivé là? Comment en sommes-nous arrivés à devoir faire la grève pour améliorer nos conditions économiques? N’avons-nous pas le meilleur système économique possible? L’état n’est-il pas garant de la redistribution des richesses? Pour bien comprendre tout cela, il importe de saisir le fonctionnement de notre système économique : il faut saisir les rouages du capitalisme.

Disons-le d’emblée, le capitalisme n’est pas le seul système économique ayant existé. Son avènement il y a plus de 300 ans n’était pas non plus inéluctable et l’humanité aurait très bien pu développer d’autres formes d’organisation économique. De la même manière, il est tout à fait concevable (et souhaitable) que l’on évolue vers une nouvelle forme d’organisation. Rapidement décrit par Marx, le capitalisme serait une forme d’organisation sociale où une minorité de personnes détient les moyens de production. Comme la majorité d’entre nous ne possédons pas grand-chose (en tout cas pas d’usines, de magasins ou de compagnies) nous sommes obligé-es d’aller vendre notre temps à un patron qui nous paiera le moins cher possible pour faire le plus de profits possible. Et même si le patron ne cherche pas toujours à s’en mettre plein les poches, il restera contraint à payer ses employés le moins possible pour rester compétitif. Depuis l’ère néolibérale, même l’État tient ce genre de discours. N’entendons pas souvent dire que le Québec doit diminuer ses dépenses pour rester compétitif au niveau national ou international? Au final, on se retrouve dans un système qui a comme finalité de créer un maximum de profit pour les entreprises, les banques, les patrons, au détriment de la qualité de vie d’une majorité de travailleur-euses. La grève permet donc de limiter les dégâts! De ralentir ce processus en s’assurant que les travailleur-euses obtiennent une part de ce qu’ils ont produit. Mais bon nombre de grèves ne se sont pas contentées d’aller grappiller quelques miettes. Ainsi on a vu certaines grèves être assez massives pour renverser le régime en place et changer le système économique. Parfois avec des résultats décevants1 ou encore avec des résultats éphémères (anarcho-syndicalisme en Espagne)2. D’autres fois, des grèves qui n’ont pas réussi à arriver à leur fin ont quand même produit des résultats durables sur la société (les différentes grèves de la fin des années 60 notamment mai 68 en France)3. Mais une chose est sûre, si l’on veut sortir du cercle vicieux du capitalisme il faudra se serrer les coudes et faire la grève dans cette perspective. Plus encore, il faudra comprendre que les grèves même si elles ont des intérêts corporatistes différents s’opposent au même système d’oppression. Il faudra faire la grève sociale.

Faire grève contre toutes les oppressions

Le plus souvent, il s’agit effectivement de la cessation d’un travail salarié, mais pas nécessairement. Les grèves étudiantes en sont un bon exemple on a beau affirmer que les étudiant-es sont des travailleur-euses en formation (charte de Grenoble)4 cela ne sera jamais tout à fait exact. Ou enfin, espérons-le. Il y a dans les grèves étudiantes un impact et une pression économique certaine, sauf que cela ne vient pas seulement de l’arrêt des activités, mais également des actions posées grâce à ce temps libéré.

Mais plus encore, il y a des grèves qui ne s’attaquent pas principalement au système d’oppression économique, mais mettent l’emphase sur d’autres systèmes d’oppressions. Durant les grèves générales du mouvement des indignados en Espagne5 , il y a quelques années, il y a eu des exemples de grèves féministes. Les femmes étaient alors appelées à cesser les tâches qui leur sont souvent dévolues (tâches ménagères, gardiennage, etc.) pour protester contre l’oppression du patriarcat.

À d’autres moments, même si les grévistes incluent des salarié-es, la grève a des visées tout autre qu’économiques. Ainsi dans les années 1930 il y a eu, en France, en Italie et certainement ailleurs, des grèves contre le fascisme. Il y a également eu des grèves contre le racisme; la grande grève de 1973 en France par exemple ou plus récemment (en 1991) la grève des étudiant-es belges. En fait, les exemples sont aussi divers que nombreux : grève des magistrats tunisiens pour l’indépendance des médias, grève des travailleur-euses sénégalais pour l’indépendance du Sénégal. La grève est donc un bon moyen de s’attaquer aux situations d’exploitation économiques et aussi plus largement à tout type de système d’oppression : racisme, patriarcat, fascisme, colonialisme, etc.

Les grèves ont ceci en commun qu’elle vise toutes à émanciper la société de son exploitation et de ses oppressions. Il faut le reconnaître une fois pour toutes et supporter de notre mieux ceux et celles qui décident de se mettre en grève.

Faisons la grève sociale!

[1] Des mouvements de grève importants ont souvent contribué à déstabiliser les gouvernements en place contribuant, parfois malgré eux, à la prise du pouvoir par d’autres régimes. En Allemagne par exemple les grèves des syndicats communistes et socialistes durant les années 1918- 1919 forcèrent l’empereur Guillaume II à démissionner et à être remplacer par la république de Weimar.
[2] Avant et durant la guerre civile espagnole, certaines villes du Nord étaient contrôlées par des syndicats anarchistes où les ouvriers auto-géraient les usines et la ville, notamment en contrôlant les ports et les services municipaux. Cette expérience intéressante a abruptement pris fin avec l’avènement du fascisme en Espagne et la prise du pouvoir par Franco en 1936.
[3] Le 4 Mai 68, en France, par l’ampleur de son mouvement (La France fut paralysée entièrement pendant plusieurs semaines) est le symbole par excellence des grands mouvements des années 1960. Les soixante-huitards revendiquaient des changements profond dans la société française. Les gains du mouvement quoique positifs apparurent à plusieurs comme une capitulation devant la France de De Gaulle.
[4]La charte de Grenoble fut écrite en 1946 par un syndicat étudiant français et posait les balises des droits de l’étudiant.e.s. Elle suggère que les étudiant-es sont des travailleur-euses intellectuel-les, justifiant les revendications de gratuité scolaire. Les points mis de l’avant dans la chartre furent repris dans de nombreux pays.
[5] Le mouvement des indignados, est un immense mouvement de mobilisations ponctuelles et de journées de grèves sociales entre 2011 et 2013. Ce mouvement dénonçait les politiques néolibérales et les mesures d’austérités mise en place par le gouvernement espagnol.